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L’île au trésor

28 janvier 2007

Vous souvenez-vous avoir lu un texte en entier, sans jamais sauter une partie un tant soit peu ennuyeuse?

Si vous travaillez dans un domaine un peu technique, avez-vous déjà dû travailler sur des documents construits selon l’implacable logique des 3 parties, mais dont l’ennui qu’il suscitait vous a fait uniquement sauter vers la fin ? Vous êtes-vous arrêtés quelques secondes sur les images en couleur, mais dont l’absence de légende vous a contraint à finalement téléphoner à son auteur pour qu’il vous explique les grandes lignes « en quelques mots ».

Nous ne savons pas écrire. Par nous, j’entends bien sûr les informaticiens dont je fais partie, mais aussi la plupart des gens qui veulent écrire, dont je fais aussi partie, les professeurs de français qui nous apprennent à structurer notre pensée, mais certainement pas à attirer l’attention de notre auditoire.

Il est au contraire beaucoup plus facile de reporter la responsabilité sur l’auditoire, fatigué ou incapable de se concentrer. Combien font autre chose en réunion ou en classe, répondent à leur courrier, rêvassent.

Nous ne savons pas raconter. On enseigne nulle part l’art de la narration, l’art de contraindre les gens qui font autre chose à suspendre volontairement leur activité pour nous écouter, l’art de les captiver, de les intéresser. Vous avez sans doute fait l’expérience de raconter vos vacances en ayant l’impression de n’être écouté que d’une oreille par politesse. À l’inverse, vous avez peut-être aussi un jour été à un cours, une réunion, accompagné d’un livre ou d’un cahier pour gribouiller et poser à plat quelques idées, mais été surpris de n’avoir rien pu faire à cause des qualités de l’orateur, le professeur ou le meneur de la réunion.

Je vais essayer de vous donner quelques principes qui m’ont donné l’impression de rendre l’écoute plus facile.

Le rôle des images

Le principe le plus connu pour une présentation. Une image vaut 1000 lignes de texte. Un bon schéma clair, coloré, accompagné d’une légende claire et concise évite de noyer un auditoire dans un flot d’informations trop important.

On oublie trop souvent que image ne signifie pas schéma ni dessin. On peut utiliser des images en parlant par métaphore : la Bible, le livre le plus vendu, parle par métaphore. Elle enseigne en effet une ligne de conduite par des histoires, plus faciles à retenir, à transmettre. Elles ont également le mérite d’attirer l’attention. On retient plus facilement l’histoire de Samson et Dalila qu’une leçon de morale sur le pouvoir de séduction des femmes.

Ceci étant dit, une image seule est orpheline : il est nécessaire de l’expliquer. On ne peut réduire une documentation technique à un vaste schéma fonctionnel, UML ou autre. Une métaphore ne sert à rien si l’on ne l’explique pas. Un schéma, une équation mathématique, une image ne doivent jamais être séparés de l’explication qui les justifie.
N’oubliez toutefois pas de donner un nom à tout ce que vous évoquez, notamment les images, ce qui évitent de trop longues lignes d’explications qui finissent par perdre l’auditoire.

Mesurez la proportion d’image à insérer. Le manque d’images ennuie. Trop d’images en revanche seront toujours mal introduites ou expliquées ; l’auditoire ne saurait pas quoi retenir.

Accrochez, surprenez

La clé de l’écoute. Il faut commencer par prendre possession de son auditoire, le captiver par une phrase choc, quelque chose d’inhabituel, d’accrocheur, de vendeur, faisant référence à quelque chose de connu par les personnes qui vous écoutent. Inutile de vouloir choquer, ce qui a pour effet de se mettre à dos la moitié de l’auditoire.

Je me souviens d’un épisode avec mon professeur de mathématique au lycée qui est arrivé un matin en nous annonçant : « Aujourd’hui, nous allons étudier la Grèce antique! » puis « personne ne comprend ? non ? Vous allez voir… » partis pour 45 minutes de calcul d’intégrales, pour enfin arriver à la définition du logarithme népérien. « Julie, au tableau ! », annonce-t-il plein d’excitation. « Calcule-moi la valeur de l’intégrale de la fonction “inverse” entre 1 et 3. » et après quelques lignes de réflexions, la réponse : « Hélène de Troie ! »
Et voilà comment un professeur gagne 45 minutes d’attention générale.

Le discours ne doit cependant pas se résumer à un excès de boutades et de surprises qui tourneraient la présentation au one-man show, qui au lieu de faire passer un message, ne feraient que divertir. L’accroche doit servir à attirer l’attention, mais doit être suivie d’explications, après quoi, il est nécessaire de rattraper les gens qui sont descendus du train pas une nouvelle technique d’accroche. Tout l’art consiste bien à doser la surprise que l’on injecte à son auditoire pendant tout le temps du récit.

Une anecdote est à usage unique. Une fois utilisée, on la jette. L’auditoire sait qu’on la réutilise et la deuxième fois, elle ne surprendra plus.

Construisez et aiguillez

Il faut ensuite aiguiller son auditoire, lui dire où on va, comment on y va. Ensuite seulement, le voyage peut commencer. À l’inverse, il ne faut pas non plus donner l’impression que le voyage est trop balisé, qu’on ne peut sortir en aucun cas des sentiers battus. Il faut rappeler la direction, comme une boussole, mais ne pas montrer la carte avec l’itinéraire tracé en rouge gras, ce qui enlèverait toutes les surprises.

Dans un roman, les héros vont chercher l’île au trésor, et on ne tourne pas 15 pages sans en entendre parler. Il faut toujours rappeler aux personnes qui nous écoutent quelle est cette île au trésor que l’on cherche, comment elle est, comment on l’imagine. Il en est de même pour un discours technique : rappelez quelle est cette île au trésor.

Il faut alors imaginer des étapes, rappeler régulièrement l’étape suivante et la destination finale. Entre temps, le narrateur se laisse porter et surprendre par l’histoire.

À l’école, on écrit jamais sans avoir préalablement construit un plan. C’est en effet un échafaudage mais il ne faut pas oublier de le cacher. Le plan est aux rails ce que l’histoire est à la mer. Le bateau part en direction du prochain port, ne perd pas son cap mais n’est pas attaché à ces rails. Il est influencé et dérive en fonction des conditions météorologiques. En revanche, le marin qui se trompe de port n’est pas un bon navigateur.

Il est indispensable d’interagir avec son auditoire, d’être à son écoute, et d’adapter la route à prendre en fonction des circonstances, des réactions dites ou non dites, d’arriver à bon port, même si cela prend plus de temps. Le tout est de préparer suffisamment son histoire pour qu’elle ait l’air à la fois maîtrisée et libre, un peu comme le guide, qui doit donner l’illusion aux visiteurs de se perdre, mais qui ne doit absolument pas leur faire courir un quelconque danger.

Soyez brefs

Évitez tout ce qui est inutile, chaque mot de trop, qui ne sert pas avancer vers « l’île au trésor ». Le maître mot doit être la simplicité.

À la fin de votre rédaction, relisez-vous et enlevez chaque mot, chaque phrase, chaque signe de ponctuation, qui ne fait pas avancer votre propos. Ré-écrivez les phrases trop lourdes, trop complexes. Enlevez les mots savants qui donnent l’impression aux gens qui vous lisent, qui vous écoutent qu’ils n’en sont pas capables. Préférez le mot simple correspondant, à moins qu’il ne fasse perdre du sens à la phrase.

Enlevez toutes les parenthèses: soit l’incise fait partie du voyage, auquel cas il faut l’inclure dans sa totalité, soit elle n’en fait pas partie. Enlevez ensuite les points d’exclamation qui le plus souvent n’apportent qu’un côté superficiel. Les points de suspension quant à eux donnent l’impression de ne pas maîtriser le sujet.

Relisez-vous encore et encore, à haute voix, reprenez les passages sur lesquels vous butez ou bafouillez, enlevez ces satanées fautes d’orthographe qui restent, ces fautes de grammaire, de français. Reformulez ce que vous n’estimez pas immédiatement compréhensible, ce qui n’est pas la conséquence logique de la ligne précédente. Essayez ensuite de passer autant de verbes que vous pouvez au présent de l’indicatif.

Enlevez la mise en forme (souligné, majuscules), qui signifie que vous avez mal écrit, que vous voulez mettre en évidence quelque chose qui n’est peut être pas assez clair. Pour la mise en page, préférez des outils qui font le travail à votre place et évitent ainsi les fautes de goût et de cohérence.

Après cela, votre prose sera sans doute plus digeste, donnera sans doute plus l’envie d’être lue ou écoutée. Enfin, n’oubliez pas que ce que vous racontez dépend du public auquel vous vous adressez, qui ne sera pas toujours enclin de la même manière à écouter le message. À vous de calibrer raisonnablement chacun des paramètres pour que le public soit réceptif, mais aussi pour que vous vous sentiez bien avec lui.

Tout ceci est très gourmand en temps, mais si vous n’êtes pas prêts à faire cet effort, n’écrivez pas !