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Un faux mariage

15 avril 2010

Il est des cérémonies de mariage en tout genre, qui répondent en général aux traditions d’une culture, d’une ethnie, ou d’une religion. Quand le mariage est blanc, il est effectué sans sentiments, afin d’obtenir des avantages souvent politiques ou économiques. Au théâtre ou au cinéma, on peut voir de faux mariages, une cérémonie qui fait illusion, mais le code est clair : on est dans une histoire, et n’importe qui peut s’identifier à ces scènes de la vie courante. Une fois sortis de la salle de cinéma, la « vraie » vie reprend son cours.

Traditionnellement, les Japonais se marient dans des autels shintoïstes, et parfois dans des temples bouddhistes, en officialisant leur union devant leur(s) dieu(x). On parle alors de cérémonie shinzen-shiki (devant les dieux), ou butsuzen-shiki (devant Bouddha). Or ces mariages coûtent cher, et ne sont pas forcément la panacée des couples modernes japonais. Des cérémonies plus occidentales se répandent de plus en plus. Ainsi, un de mes amis français à Kyoto est faux prêtre. Son travail consiste à fournir une prestation de « prêtre marieur » à des couples qui veulent se marier suivant la tradition « catholique » ; on parle alors de kyokai-shiki (style église). Je laisse bien ce mot entre guillemets, car il n’y a rien de catholique, ni de chrétien dans cette cérémonie. Tout est dans l’apparence et l’exotisme met un peu de piment à la cérémonie. Personne n’est dupe : on n’attend pas du prêtre qu’il soit catholique. Par contre, un prêtre « de race » est un plus.

Des amis étant sur le point de se marier, ils ont récemment commencé à faire le tour des entreprises de mariage qui s’occupent de l’organisation de la cérémonie et du banquet. Pour les stakhanovistes de la logistique que sont les Japonais, tout doit être minutieusement planifié et minuté, et ces entreprises se chargent des détails, mariant ainsi les couples à la chaîne dans leurs locaux. Le package idéal étant un hôtel dans un endroit touristique, avec un petit pavillon de style européen adjacent. La présence d’onsen, source chaude naturelle, est un plus, autant qu’un château de la Belle au bois dormant. Comme toujours, la lutte est féroce entre ces fournisseurs de cérémonie de mariage, qui ne manquent pas d’imagination pour attirer de nouveaux clients, surtout dans un contexte de crise économique. Ce que cette compagnie du bord du lac Biwa propose m’a laissé pantois : pour aider les jeunes couples à se décider, elle leur propose d’assister à une cérémonie. Bien sûr, il n’est pas question de mettre les jeunes couples dans un coin lors d’une vraie cérémonie, mais plutôt de… leur offrir une fausse cérémonie. Ainsi pour la modique somme de 3150 yen (25 euros), on vous propose d’assister à une cérémonie de A à Z, suivie d’un banquet. Ce même banquet est normalement facturé 18000 yen (140 euros) par invité. Ces amis nous ont donc invités pour profiter d’un bon repas à bon prix.

Après s’être acquitté de la facture, on entre dans ce monde étrange. Je ne peux m’empêcher de tout comparer à l’attraction « un monde parfait » à Disneyland, avec des bateaux qui voguent au milieu de poupées dansantes sur un fond de musique entêtante. Deux hôtesses nous prennent alors en charge et nous mettent dans un ascenseur, direction la chapelle (à prononcer à la japonaise sha-pel-lu). On passe devant un couple de jeunes mariés en smoking et robe de mariée (à louer sur place), avant de se diriger vers le lieu de la cérémonie. Ce couple se serait déjà marié en ces lieux une semaine avant, mais acceptent (moyennant réduction de leur facture ?) de servir de cobayes aux futurs jeunes mariés. On entre donc dans cette salle ronde : les gens s’assoient en cercle autour d’un autel, illuminé à la manière comme une scène de théâtre. Une hôtesse se tient derrière l’hôtel, et débite son texte de bienvenue, fourni de formules polies de circonstances. Nous allons donc assister à une cérémonie de type jinzen-shiki (devant des gens). Cette cérémonie est plutôt neutre religieusement et permet d’officialiser son union devant ses familles et ses amis. Les témoins (best-man et bride-maid, mots américains prononcés à la japonaise) entrent, suivis des mariés, guidés par l’hôtesse, qui sert de maître de cérémonie et de chauffeur de salle. À la fin, le marié (uniquement) lit un serment, et avant que les mariés sortent, un chanteur noir américain (pour ajouter au folklore) vient chanter un air de gospel a cappella (tarif de la prestation supplémentaire, 120 000 yen, environ 1000 euros). Puis l’hôtesse explique que les mariés vont entrer à nouveau, mais pour une cérémonie kyokai-shiki cette fois. Elle laisse alors la place à un prêtre qui entre et nous explique que les témoins ne font pas partie du programme “église”. Il singe une cérémonie chrétienne avec un sermon facile sur la beauté de l’amour qui ne manque pas d’endormir l’assistance. Enfin, il prononce le sacrement et le couple sort. Pas de gospel pour cette cérémonie.

Nous sommes alors invités à sortir également, sommes entassés sur un balcon d’une trentaine de mètres carré, avant de voir les mariés nous rejoindre pour le lancer de pétales de fleurs. Une photo de groupe est prise, et nous sera distribuée à la fin. L’heure tourne et nous sommes intimés à descendre au plus vite dans la salle de banquet. Une hôtesse (celle qui jouait la bride-maid) prend nos noms pour nous placer sur une table à part avec nos amis. L’ambiance est au plus calme : personne ne se connaît, personne ne se fait remarquer. H. me fait remarquer que dans les vraies cérémonies, l’ambiance est exactement la même. Les plats s’enchaînent. En place de discours, le jeune marié vante les mérites du service fourni, explique combien ses invités étaient contents du très bon repas, combien les hôtesses les ont aidés à organiser ce qu’ils ne savaient pas qu’ils voulaient. On trinque et le chanteur de gospel revient pour inviter les gens à danser dans un japonais (volontairement ?) approximatif. Une autre danseuse typée brésilienne (est-ce moins cher pour une chanteuse japonaise ?) entre pour inciter les gens à s’amuser. Enfin le dessert arrive, on nous invite à prendre un dernier verre. Les hôtesses s’approchent des couples clients potentiels pour leur demander leur impression et cibler les attentes (dans les limites des options disponibles).

19 heures précises : à l’instar d’une vraie cérémonie, ou de n’importe quel moment social japonais, c’est la fin. Les invités sont maintenant priés de partir.

Ici au Japon, tout est possible. Tout est fait pour séduire de nouveaux clients potentiels. Les entreprises recrutent des arubaito, sans contrat, pour une prestation sous-payée qui leur permet d’entrer dans leur frais, ou de maximiser les bénéfices. Bien que 120 000 yen, somme avec laquelle il est possible de vivre seul pendant un mois, soient demandés pour une prestation de gospel d’une petite minute, il n’est pas certain que le chanteur ait accès aux congés payés. De même, en faisant faire non pas un, mais deux mariages blancs à un couple déjà marié, ceci à des fins publicitaires, on joue à la limite du respect du caractère sacré du mariage. Il y a quelque chose qui est bafoué ici…