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Science et religion

10 novembre 2012

Les nouvelles que l’on aura pu lire ces dernières années font souvent état d’une tendance, notamment aux États-Unis, à remettre en cause l’enseignement de la théorie de l’évolution à l’école, pour revenir à une lecture littérale de ce qui est écrit dans la Bible. Les partisans du Livre mettent en regard les explications de la Genèse et celles de Darwin, pour arguer que l’une ne saurait avoir plus de légitimité que l’autre. Science et religion se confrontent ici sur un terrain qui ne grandit ni l’une ni l’autre. Ces deux sœurs ne sont pourtant pas ennemies ; le vrai mal caché derrière ce débat tient pourtant en un seul mot : dogmatisme.

dogme, subst. masc.
Proposition théorique établie comme vérité indiscutable par l’autorité qui régit une certaine communauté.

Laissons la religion de côté pour l’instant. Les sciences quelles qu’elles soient ne reposent pas sur des dogmes, mais sur des hypothèses. On les appelle prédicats en mathématique et modèles en sciences physiques.

La science mathématique est l’art de démontrer des propriétés qui découlent d’un nombre réduit de prédicats ; ceux-ci proviennent certes de la perception que nous avons de notre monde. Ainsi, la géométrie euclidienne est fondée sur cinq prédicats :

  • un segment de droite peut être tracé en joignant deux points quelconques distincts ;
  • un segment de droite peut être prolongé indéfiniment en une ligne droite ;
  • étant donné un segment de droite quelconque, un cercle peut être tracé en prenant ce segment comme rayon et l’une de ses extrémités comme centre ;
  • tous les angles droits sont congruents ;
  • si deux lignes sont sécantes avec une troisième de telle façon que la somme des angles d’un côté est strictement inférieure à deux angles droits, alors ces deux lignes sont forcément sécantes de ce côté.

(source Wikipédia)

Les prédicats se distinguent des dogmes en ceci qu’ils ne sont pas considérés comme indiscutables. Au contraire, ils sont considérés comme raisonnables ; sont indiscutables les propriétés déduites, ceci dans le système induit par ces prédicats.

Les mathématiciens sont ainsi des créateurs de monde, dont les briques de départ sont posées (et vraies par définition), et dont tout un système de lois découlant de ces briques de départ est ensuite prouvé de manière indiscutable. Si les briques de départ rappellent souvent le monde réel, elles ne prétendent pas le décrire.

Un mathématicien Débutant pourrait créer un monde Parfait, régit par les deux prédicats suivants :

  1. il fait soit jour, soit nuit ;
  2. le jour on voit le soleil, la nuit non.

Le premier théorème dans le monde induit par ces deux prédicats pourrait alors être « si il fait jour, alors il fait beau ». Si ce théorème n’est (malheureusement) pas vrai dans le monde réel, il est vrai dans le monde Parfait.

Les sciences physiques, au contraire, prétendent décrire la nature. Tout l’art du physicien consiste à modéliser le monde réel sous la forme de définitions mathématiques, pour tenter de prévoir ce qui se passera dans le monde réel. Le physicien ne dit pas « Après n années de recherche, je peux vous affirmer qu’il se passera ceci », mais « Si le monde était régi par des lois qui nous semblent à tous raisonnables, alors je peux vous affirme qu’il se passera ceci ».

La prise de conscience que l’accélération est proportionnelle à la force a donné naissance à la mécanique newtonienne, mais cette assertion ne sert qu’à définir un cadre dans lequel un certain nombre d’assertion seront vraies. Autrement dit, il est abusif de dire que les relations de Kepler décrivent le mouvement des planètes, en revanche, il est correct de dire que « Dans le cadre de la mécanique classique, les relations de Kepler décrivent le mouvement des planètes ».

Les lois de la mécanique classique ne suffisent pas à décrire l’infiniment petit. Un autre domaine y parvient mieux : celui de la physique relativiste. Ceci ne signifie pas que les lois de la mécanique classique sont fausses : elles sont vraies dans un monde où l’accélération est proportionnelle à la force.

Omettre de préciser les limites des lois que l’on énonce revient à appliquer les lois de la géométrie euclidienne à la surface d’une sphère. C’est donner du grain à moudre aux créationnistes qui auront beau jeu de dire que la physique, à l’image de leur vision de la Bible, est basée sur des dogmes qui ont autant de légitimité que les leurs. Or la différence est là : les religions du Livre sont basées sur un dogme auquel on demande de croire, elles ne disent pas « si Dieu a créé les hommes selon la Genèse, alors… ».

Aussi, je me méfie de ces hommes de Science qui oublient le « si », qui déforment leur savoir, en éclipsent une partie pour l’utiliser en arme à convaincre et à manipuler : la proposition « cet antibiotique ne présente aucun risque » n’est pas équivalente à « je n’ai jamais eu de patients qui se sont plaint d’effets secondaires ».

On retrouve les pires conclusions avec la statistique. Cet excellent article décrit bien les dégâts moraux que peuvent causer une faible maîtrise des lois de la probabilité. « 80% des femmes qui ont une tumeur ont un examen positif » n’implique pas que « 80% qui ont l’examen positif ont une tumeur. » Une erreur de raisonnement de ce type est pourtant vite arrivée : les lois de la probabilités sont simples, mais présentent pourtant souvent des interprétations contre-intuitives.

L’important est plus dans le raisonnement que dans le résultat ; plus dans le chemin que dans l’objectif. Un résultat n’est valade que sous certaines hypothèses et/ou conditions ; le pélérinage à St Jacques de Compostelle se définit plus par la route que par le cierge allumé sur place en descendant du bus.

Une religion ne répond pas au besoin de décrire ce que l’on voit dans notre monde, mais plutôt à la métaphysique du pourquoi nous y sommes. Là où la science est le travail de l’esprit, la religion est celui de l’âme. Une religion n’a pas pour finalité de modéliser le monde dans lequel nous vivons afin de le prévoir et de l’anticiper. Au contraire, elle traite d’avantage du rapport de l’homme au monde dans lequel nous nous trouvons tous.

Une description de notre monde peut être un outil incomparable pour étayer une vue philosophique, morale, éthique, ou spirituelle ; elle n’en est pas pour autant une fin en soi. Si il est du ressort du scientifique de fournir des outils au naturaliste dont la tâche est de décrire ce qui nous entoure, le religieux qui sort de ses prérogatives pour remplir le travail du naturaliste avec un grand livre pour seule base ne rend service à personne.