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Diathèses et formes verbales

1er juin 2015

Au cours d’une discussion à propos des langues vivantes et anciennes, la question de la voix moyenne en grec ancien s’est présentée. On présente souvent cette forme verbale comme une forme désuète, autrefois située à mi-chemin entre la voix active et la voix passive. On y trouverait donc des restes en grec ancien, avec une conjugaison très proche de la voix passive (sauf au futur et à l’aoriste si mes souvenirs sont bons), ou en latin avec les verbes déponents (qui n’ont pas de forme active).

La voix moyenne évoque ce que le sujet fait pour soi, sans pour autant être le réel moteur de l’action. Le verbe naître, par ailleurs déponent en latin, est une belle illustration de cette voix. Historiquement dans les langues indo-européennes, les voix active et moyenne sont les plus anciennes ; la voix passive est apparue bien plus tardivement et a fini par prendre la place de la voix moyenne.

Sans pourtant être un spécialiste de linguistique, j’ai tendance à me battre contre beaucoup de tournures passives qui me semblent peu naturelles au point de gêner le rythme de la lecture.

Pour pouvoir aller plus loin, il convient de définir le terme de diathèse. La définition suivante ne manque pas de justesse : « trait grammatical décrivant comment s’organisent les rôles sémantiques dévolus aux actants par rapport au procès verbal, que l’on entend plus communément par “voix” verbale ». Préservons toutefois le terme de voix verbale pour les formes grammaticales prises par les verbes et formulons une hypothèse : la diathèse moyenne est naturelle au point d’être restée omniprésente dans nombre de langues ; la diathèse passive beaucoup moins.

Observons les nuances entre diathèse et forme verbale avec les exemples suivants.

On m’a raconté une histoire qui m’a ému.

Cette phrase comprend deux formes actives, pourtant la phrase a bien une diathèse passive, pour les deux propositions. Le seul acteur de la phrase n’est pas « on » mais bien « je ». Et c’est ce « je » qui profite de l’histoire racontée, au point de s’en émouvoir.

物語を読んでもらったら感動しました。

La même phrase en japonais, toujours sans forme dite « passive », mais pour des raisons différentes. Il n’est pas nécessaire en japonais de préciser qui a lu l’histoire, et le thème (« je ») est implicite, bien qu’évident par la tournure de la phrase. La forme en ってもらう est une diathèse passive et exprime le fait qu’un tiers fait une action dans l’intérêt du thème.
La traduction de « Je suis ému » est une forme active en japonais, 感動する, comme pour tous les verbes (びっくりする, « je suis surpris »), et onomatopées (いらいら pour la colère, どきどき pour l’excitation, etc.), qui expriment un ressenti ou une émotion.

I have just been rained.

L’exemple type de la diathèse qui coïncide avec la forme passive en anglais et qui est pourtant interdite en français. On pourrait peut-être traduire cette phrase par « Je viens de me faire surprendre par la pluie. » mais en aucun cas par « Je viens de me faire pleuvoir ». L’autre exemple classique est « I have been told » que l’on traduit par « On m’a dit » et non par « J’ai été dit ».

雨に降られたところ。

La même phrase en japonais. La forme passive en japonais est sans doute nommée ainsi par mimétisme sur la grammaire anglaise, parce qu’elle est parfois utilisée pour des diathèses passives. La forme passive fonctionne ici parce que le thème subit quelque chose de désagréable1.
Cette forme fonctionne très bien dans des phrases comme 財布を盗まれた (On m’a volé mon portefeuille), ウソを吐かれた (On m’a menti), ou かのじょに裏切られた (Elle m’a trompé). ご主人に死なれて急に衰えた (Elle a faibli rapidement après que son mari est mort) est un bel exemple de ce passif adversatif propre au japonais.

La porte s’est refermée derrière lui.

L’exemple type de la diathèse moyenne. La porte est le sujet de la phrase, et pourtant c’est elle qui subit l’action. La forme prise le plus souvent en français pour exprimer cette diathèse est la forme pronominale. « Le vent se lève », « La sonnerie retentit », etc. sont des exemples types de diathèse moyenne.

Japanese cars sell well in Thailand.

À traduire en français avec une verbe pronominal, « Les voitures japonaises se vendent bien en Thaïlande. ». On a bien affaire à la diathèse moyenne qui s’exprime la plupart du temps par une forme active en anglais.

La marée monte à la vitesse d’un cheval au galop.

La forme pronominale n’est pas l’apanage de la diathèse moyenne en français. La forme active est parfois utilisée. Les verbes naître et mourir, déponents en latin, restent à la forme active en français pour une diathèse moyenne.

花火大会が月曜日に開催されます。

Ici, « Le feu d’artifice aura lieu lundi » appelle une « forme passive », qui est l’une des manières utilisées en japonais pour exprimer une diathèse moyenne.

Il est intéressant de noter que beaucoup de verbes japonais fonctionnent par paires, la première forme du verbe pouvant être interprétée comme une forme moyenne, et la seconde comme une forme active. On apprend ainsi 倒れる (tomber à la renverse) et 倒す (faire tomber à la renverse), 冷える (refroidir) et 冷やす (faire refroidir), 縮む (raccourcir, au moyen) et 縮める (raccourcir, à l’actif), etc.
La nuance entre 試験に落ちた (J’ai échoué à l’examen) et 試験に落とされた (On m’a fait échouer à l’examen) s’explique bien par la notion de moyen et de passif : la forme passive en japonais est plus émotionnelle, c’est la part d’arbitraire, d’injustice venue d’en haut qui ressort de cette deuxième phrase.

J’ai tenté ici de choisir des phrases aussi idiomatiques que possible pour contredire mon sophisme sur la vanité de beaucoup de formes passives.

Je pense néanmoins que je continuerai de préférer « Le chat a mangé la souris » à « La souris a été mangée par le chat », exemple type de la tournure passive lourdaude, avec un complément d’agent qui jure au milieu d’une phrase d’action, qui ne réclame rien d’autre qu’une forme active.

Je préfère bouder ces formes passives, bien qu’elles soient autorisées par la grammaire française et couramment utilisées par le monde journalistique.

  1. C’est sans doute le rapport émotionnel qui prévaut en japonais dans la forme choisie pour les verbes. La forme passive en est sans doute la meilleure illustration. On sort du contrôle individuel, pour entrer dans ce qui n’est plus de notre ressort, le shikata ga nai ; on est dans des actions autour de situations dans lesquelles on préfèrerait ne pas être impliqués, où l’on subit de manière arbitraire et injuste.