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Syvoghalvfjerds, 7 + (-½ + 4) × 20 = 77

17 novembre 2015

Les langues évoluent, s’adaptent, et ont tendance à converger vers des postures parfois étonnantes, vestiges de pratiques aujourd’hui désuettes.

L’originalité de chaque langue transparaît souvent dans la lecture des nombres, à commencer par la base courante de numération. Le système décimal (base 10) est omniprésent dans les langues occidentales, et on sépare les nombres par groupes de 3. Le système hexadécimal (base 16) est couramment utilisé en informatique pour son écriture compacte d’information binaire (« B », qui représente le chiffre 11 en base 2, représente également la suite d’informations binaires « 1011 »).

Le système sexagésimal est toujours utilisé pour subdiviser les heures en 60 minutes et les minutes en 60 secondes. Historiquement, la base 60 est en effet intéressante par son grand nombre de diviseurs : 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20, 30. On la retrouvait aussi dans la subdivision des livres sterlings en shillings et en pence, et encore dans le système impérial de mesure.

Le système vicésimal (base 20), vestige de l’époque celtique, reste toujours présent, notamment en français ou en danois. Le système vicésimal a cohabité avec le système décimal en France où l’on utilisait indistinctement trois-vingts et soixante, trois-vingt-dix et septante ; l’hôpital des Quinze-Vingts a pris ce nom pour les trois cents lits qu’il pouvait offrir.

L’usage s’est aujourd’hui stabilisé vers les formes connues, différentes de celles en usage en Suisse romande ou en Belgique. D’une manière générale, la base 20 est devenue inusitée pour les nombres supérieurs à 100.

Le danois pousse également le vice plus loin : « soixante-dix-sept » se dit syvoghalvfjerds. syv signifie sept, og signifie et, puis halvfjerds est la contraction de halv fjerde sinde tyve, « la moitié du quatrième multiple de vingt » : 7 + (-½ + 4) × 20 = 77.

Aucune langue ne semble avoir le monopole des lectures surprenantes : le breton dit toujours triwec’h pour « dix-huit » (3 × 6) ; le finnois dit kahdeksantoista, soit « deux ôtés au dix de la deuxième (dizaine) » (-2 + 10 × 2). Le vieux norrois manipulait la base 12 : « 364 jours » se disait fiora dagar ens fiortha hundraths, quatre jours dans la quatrième centaine, soit 4 + 4 × 120.1

Le placement des unités par rapport aux dizaines a longtemps été instable : le latin permettait les deux lectures. En français, on dit treize (3+10) mais vingt-trois (20 + 3), fourteen (4 + 10) mais forty-two (40 + 2) en anglais, einundzwanzig (1 + 20) en allemand. D’ailleurs, l’anglo-saxon disait fēowertīene (four-teen) aussi bien que ān and twentiġ, (one and twenty).

L’arrivée des chiffres arabes depuis l’Inde, qui se lisent dans l’ordre unités-dizaines-centaines en version originale !, a chamboulé les usages. Il y eut notamment un débat au XVIe siècle, lors de la traduction de la Bible en allemand, ouvrage qui fut la base de l’allemand standard : Luther décida de conserver la lecture traditionnelle des nombres, contrairement à d’autres auteurs qui proposaient zwanzigeins, conformément à la nouvelle écriture des nombres.


Addendum un peu hors sujet.

L’histoire de notre utilisation de la lettre « x » a également plusieurs ramifications : le ksi grec est une première branche que l’on retrouve dans nos mots savants hexa-, ex-, etc. Les lettrés utilisaient également cette lettre comme ligature de « ss », où Bruxelles (et non Brukselles) est un bon exemple ; les notaires italiens utilisaient également le « x » en fioritures calligraphiques de fin de mot : on les retrouve aujourd’hui dans des noms de lieux-dits savoyards, notamment pour Chamonix, dont le son final est un simple « i ».

Les pluriels en -x sont également une abréviation de copiste pour la finale -us. Ils expliquent pour les « l » vocalisés en « u », le pluriel des noms en -eau (-ellus en latin), en -al (caballus, cheval, chevau puis chevaus, chevax et chevaux) et une partie de la liste des fameux 7 pluriels des noms en -ou : caulis, chol, chols, chox, choux ou encore geniculum, genouil, genouils, genoux.

  1. La centaine se rapporte au nombre 120 !